mardi 29 janvier 2013

De la rigueur du règlement de consultation par Benoit Fleury

De la rigueur du règlement de consultation par Benoit Fleury


« La lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Co, 3 : 7) ; voilà une parole de saint Paul que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon n’a pas fait sienne. Saisi par un candidat dont l’offre avait été déclarée irrégulière, il a interprété strictement le règlement de consultation du marché (TA Lyon, ord. réf., 17 oct. 2012, n° 1206383, Sté Naoned Systèmes).

1 – Faits


Par un avis d’appel public à la concurrence en date du 15 juin 2012, la ville de Lyon a lancé une procédure d’appel d’offres ouverte pour l’attribution du marché de renouvellement du système d’information des archives municipales.
Le 25 septembre 2012, l’offre d’un candidat – la société SARL Naoned Systèmes – a été rejetée comme étant irrégulière. La commune considérait en effet que le bordereau des prix unitaires (BPU) remis à l’appui de l’offre était incomplet et par là même en contradiction avec le règlement de consultation.
Le cadre du BPU fourni dans le dossier de consultation précisait il est vrai très clairement que toutes les cellules de prix devaient être renseignées « quitte à mettre 0 euros avec un commentaire d’explication ». Or, le BPU inclus dans l’offre de la société Naoned Systèmes n’était renseigné, dans la section n° 4 « Prestation forfaitaire d’intégration de la solution complète », elle-même subdivisée en deux items « Forfait d’intégration de la solution complète (hors reprise des données) » et « Forfait de reprise complète des données », que sur le plan de la quantité, sans aucune indication de prix forfaitaire H.T. ou de total ni aucun commentaire.

2 – Argumentaire de la société requérante


Contestant son éviction, la société a saisi le juge du référé précontractuel d’une requête tendant à la suspension de la passation du marché à conclure entre la ville de Lyon et l’entreprise retenue et demandant d’enjoindre à la commune de reprendre la procédure au stade de l’étude des dossiers des candidatures et d’offres.
Deux arguments principaux soutenaient ces prétentions.
La société avançait d’une part que la ville de Lyon avait méconnu les dispositions de l’article 53 du code des marchés publics dans la mesure où les informations absentes du BPU se trouvaient dans d’autres documents soumis au pouvoir adjudicateur, en l’espèce le détail quantitatif estimatif (DQE) et l’acte d’engagement qui mentionnait le prix global.
Dès lors, elle estime que la commune disposait des éléments nécessaires pour procéder à l’analyse de son offre en dépit d’une erreur purement matérielle.
Elle considérait d’autre part que la commune avait violé les prescriptions de l’article 59 du code des marchés publics en ne l’invitant pas à régulariser son offre. S’agissant d’une erreur matérielle une telle demande ne heurte pas le principe de l’intangibilité de l’offre.

3 – Décision du TA


Benoit-FleuryAucune de ces motivations n’a séduit le juge des référés lyonnais. Commençons par la seconde. L’article 59 visé prévoit bien qu’en appel d’offre ouvert, « il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre ». Mais il ne s’agit là que d’une simple faculté offerte au pouvoir adjudicateur et non d’une obligation. « Le pouvoir adjudicateur, rappelle le magistrat, n’est jamais tenu de faire usage de cette possibilité lorsque lui sont remises des offres comportant des contradictions ou ambiguïtés ou des offres qui ne sont pas complètes ». Dès lors, la ville de Lyon n’a pas manqué à ces obligations de ce chef. Sur le premier point en revanche, il peut paraître incompréhensible, de prime abord, que la commune ne procède pas elle-même à la régularisation dans la mesure où elle dispose des éléments, alors qu’en l’espèce l’offre de la société Naoned Systèmes était financièrement plus intéressante que celle de sa concurrente. Le tribunal administratif demeure inflexible et livre une interprétation stricte des textes du code estimant que
« la circonstance que le devis quantitatif estimatif inclus dans l’offre ait, quant à lui, mentionné des prix forfaitaires correspondant à ces deux prestations [pour lesquelles le BPU n’indiquait aucun prix], n’imposait pas au pouvoir adjudicateur de reporter spontanément ces prix sur le BPU dès lors que si les mentions portées dans le cadre du DQE organisaient une possibilité de rectifier des erreurs ou des mauvais reports de prix affectant ce document, à partir des seuls prix de référence indiqués au BPU, aucune disposition ne prévoyait une possibilité de correction symétrique dans l’hypothèse inverse ; qu’il n’était pas davantage tenu de procéder à une telle rectification à partir du montant total de l’offre figurant dans le projet d’acte d’engagement, quand bien même correspondait-il au total mentionné dans le DQE ».
Une approche aussi ferme surprendra l’observateur attentif de l’achat public, d’autant que le tribunal administratif de Nice, dans une affaire similaire à propos d’un appel d’offres en vue de la passation d’un marché à bon de commande ayant pour objet la refonte de l’infrastructure de stockage informatique avait conclu à la solution inverse :
« considérant que si le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter une offre irrégulière, il lui appartient toutefois d’apprécier la régularité de cette offre sans se borner au constat de la seule absence d’un renseignement exigé par les documents de la consultation ; qu’ainsi, sous réserve de l’égalité entre les entreprises candidates, l’absence de renseignement d’un prix ferme et forfaitaire dans une ligne préremplie du bordereau des prix unitaires exigé par le pouvoir adjudicateur à l’appui des offres, ne justifie pas à elle seule l’élimination de cette offre comme irrégulière dès lors que ce renseignement, sans qu’il soit raisonnablement possible de se méprendre sur sa teneur, figure effectivement dans ledit document, mais sans avoir été reporté au sein de cette ligne préremplie, ainsi que dans les autres documents composant l’offre et notamment le devis estimatif uniforme exigé par le pouvoir adjudicateur pour comparer les offres » (TA Nice, ord. réf., 8 nov. 2010, n° 1004131, Sté APX).

Il y a fort à parier que ce pragmatisme l’emporterait devant la Haute juridiction.

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