lundi 5 novembre 2012

Préjudice écologique par Benoit Fleury

Préjudice écologique par Benoit Fleury


Une question parlementaire posée par le sénateur Bruno Retailleau à propos de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation dans l’affaire Erika offre l’occasion de revenir sur la question du préjudice écologique.

L’élu vendéen souhaite l’intégration de ce préjudice dans le Code civil.

Réponse du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie publiée au JO du Sénat du 12 octobre 2012, p. 3747.


Benoit-FleuryMme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le sénateur, l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire de l’Erika, le 25 septembre dernier, a confirmé la responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs de la chaîne de transport des hydrocarbures et, sur le plan civil, a reconnu la notion de préjudice écologique.
Je voudrais tout d’abord rendre hommage au combat qu’ont mené pendant onze ans les régions, les départements, les communes des 400 kilomètres de côtes françaises touchées par cette pollution et qui voient leur bataille juridique couronnée de succès.
Cette décision constitue un pas en avant considérable pour la protection de l’environnement et l’application du principe pollueur-payeur, avec la reconnaissance non seulement de la responsabilité pénale, mais aussi de la responsabilité civile, quel que soit le lieu où le sinistre s’est produit.
Cette décision fera jurisprudence. Nous souhaitons qu’elle fasse pleinement son entrée dans le droit français. Comme vous le savez, s’agissant du code civil, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, a d’ores et déjà engagé une réforme de grande ampleur de notre droit de la responsabilité. C’est donc sous sa conduite que ces réflexions se poursuivront.
Je sais, monsieur le sénateur, l’intérêt que vous portez vous-même à cette inscription. Nous avons pris connaissance de votre proposition de loi, mais aussi du colloque que vous organisez à la fin du mois d’octobre avec un certain nombre de juristes du droit de l’environnement. Je suis certaine que cette initiative sera utile pour apporter des précisions sur certains points : qui peut ester en justice au nom de la nature ? Comment doit se faire la réparation ?
Vous avez raison de dire que le 25 septembre a été un grand jour. Il nous appartient maintenant d’en tirer toutes les conséquences.
Je voulais aussi vous indiquer que, avec Frédéric Cuvillier, nous sommes favorables à ce que la France prenne, lors de la prochaine assemblée générale des Nations unies, une initiative afin de proposer un protocole additionnel à la convention de Montego Bay pour construire un outil de protection juridique international de la haute mer qui corresponde aux mêmes exigences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Texte de la proposition de loi


Exposé des motifs


Mesdames, Messieurs,
La prise de conscience de l’importance des enjeux environnementaux a donné lieu, depuis déjà plusieurs années, à des évolutions juridiques conséquentes visant à prévenir et sanctionner les atteintes au patrimoine naturel.
Dans ce vaste mouvement général, de dimension internationale, la France a pris ses responsabilités : avec l’inscription dans le bloc de constitutionnalité de la Charte de l’environnement en 2004, avec la création d’un régime de responsabilité environnementale grâce à la loi du 1er aout 2008 transposant en droit français la directive européenne n° 2004/35/CE du 21 avril 2004, ou même encore avec les évolutions jurisprudentielles en faveur de l’indemnisation des atteintes à l'environnement.
L’affaire du naufrage de l’Erika a constitué dans ce domaine une véritable avancée juridique puisque la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 30 mars 2010, a clairement reconnu un « préjudice écologique résultant d’une atteinte aux actifs environnementaux non marchands, réparables par équivalent monétaire ». Rappelons que la marée noire causée par le naufrage de l’Erika avait provoqué un dommage environnemental considérable : 400 kilomètres de côtes françaises souillées, du Finistère jusqu’à la Charente Maritime.
Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel a affirmé, dans une décision du 8 avril 2011, un principe général pesant sur tous et sur chacun concernant le devoir de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement.
Ainsi, progressivement, le préjudice écologique a fait son apparition dans le droit français. La reconnaissance en tant que telle de l’atteinte à l’environnement, indépendamment des dommages matériels et moraux, constitue sans nul doute une véritable révolution juridique. Une révolution attendue et nécessaire, synonyme de dissuasion et de réparation.
Mais cette révolution juridique reste aujourd’hui encore trop fragile, en raison notamment de restrictions dans le champ d’application de la loi du 1er aout 2008 qui limite les mesures de réparation aux dommages les plus graves, mais surtout d’une absence de formalisation dans notre code civil. Dans les affaires relevant du préjudice écologique, on constate que la jurisprudence hésite parfois à indemniser des dommages qui, par définition, n’ont pas de caractère personnel.
Il est donc temps de franchir une nouvelle étape ; de sécuriser ce qui a été progressivement construit ces dernières années et qui doit être aujourd’hui pleinement intégré dans notre droit positif. Ainsi, et dans la continuité des propositions formulées par la Commission environnement du Club des juristes dans son rapport intitulé : « Mieux réparer le dommage environnemental » (Y. AGUILA dir., janvier 2012), nous devons adapter notre régime de responsabilité civile afin de donner une traduction concrète et efficace à l’indemnisation du préjudice écologique. La réparation du dommage environnemental est aujourd’hui une exigence constitutionnelle, inscrite dans la Charte de l’environnement : il est nécessaire de définir clairement son fondement juridique et la forme que cette réparation doit prendre.
Il ne s’agit en aucun cas de judiciariser à l’excès la vie économique mais de garantir une meilleure sécurité juridique en même temps qu’une protection efficace de notre environnement qui, comme le rappelle l’article L. 110-1 du code de l'environnement, constitue « le patrimoine commun de la Nation ». Bien au contraire, protéger notre patrimoine naturel, qui constitue une véritable richesse, en s’assurant que les atteintes qu’il peut subir seront sanctionnées et réparées, contribue à l’attractivité de nos territoires.
La présente proposition de loi a donc pour objet d’insérer un article 1382-1 dans le code civil donnant un fondement juridique incontestable au préjudice écologique et à son indemnisation.

Benoit-Fleury

Proposition de loi


Au livre III du code civil, après l’article 1382, il est inséré un article 1382-1 ainsi rédigé :
« Art. 1382-1 - Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à l’environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
« La réparation du dommage à l’environnement s’effectue prioritairement en nature ».


A voir sur le sujet


Les travaux du Club des juristes et particulièrement de sa commission environnement.
Les articles de presse sur la reconnaissance par la Cour de cassation du préjudice écologique : Nouvel Observateur, Les Echos, Le Figaro.

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